Aujourd'hui pas de photo mais un fragment de journal, comme la preuve que je n'ai pas rêvé.

"Un couple d'artistes avec qui je me suis lié d'amitié m'emmène découvrir un de ces lieux atypiques dont ils ont le secret. Nous grimpons sur le toit d’un immeuble, juste au-dessus d’un club pas très net appelé « Pure ». Les dernières marches, permettant d’accéder au toit, sont plus étroites. De subtils arrangements floraux en plastique décorent la cage d’escalier. Une lourde porte en fer s’ouvre sur un jardin en plein air. De vraies plantes cette fois, dont l’emplacement semble avoir été choisi avec soin. Un passage de graviers et de pierres mène à une sorte de cabane en bois, d’où émane une lumière douce. Bien sûr, il faut se déchausser avant d’entrer. Un homme d’une cinquantaine d’années nous accueille dans une pièce minuscule. Sur la droite, des ustensiles pour la cérémonie du thé sont disposés de telle manière qu’ils paraissent avoir été là de toute éternité, comme sur la toile d’un maître. L’homme, habillé en kimono, marche cérémonieusement tel un acteur de , mais derrière ses lunettes rondes à la Nakajima Atsushi, son visage est bon enfant et il parle d’une voix enjouée. En voyant ses mains dépigmentées, étrangement blanches par endroits, sortir des manches incroyablement amples de son kimono, je ressens une impression étrange. Il nous donne plusieurs sortes de gâteaux pour accompagner le thé qu’il commence à préparer. Je ne me souviens plus en détail des innombrables gestes à accomplir, rituels sans fin qui peuvent prêter à sourire pour les non initiés que nous sommes, un peu gênés par le silence. Heureusement notre maître de cérémonie ne s’en offusque pas, bien au contraire. Il prépare trois fois le thé. Pour la dernière fois, il nous propose de boire dans un bol plus précieux, datant de l’époque d’Edo. L'ouvrage est absolument superbe, un parfait exemple de rustique finesse que je fais lentement tourner entre mes doigts.

A la fin de la cérémonie, l’homme nous montre sa collection de jeux anciens. Jeux de cartes peints à la main. Jeu consistant à lancer un éventail sur une sorte de figurine en tissu, posée sur un cube de bois. Si j’ai bien compris, le cube de bois représente un oreiller ; la figurine de tissu, un papillon de nuit venu troubler notre sommeil, et que nous devons chasser avec l’éventail. La position dans laquelle l’éventail et la figurine tombent détermine le nombre de points que l’on gagne à chaque lancé. Les combinaisons sont multiples.

Mais le plus fascinant est sans doute le Bonseki : l’art de créer des paysages miniatures sur des plateaux de laque noire, à l’aide de différentes sortes de sables, de petits cailloux ou morceaux de roches et autres agréments. L’effet est saisissant, entremêlant les deux dimensions du plateau aux trois dimensions du sable et des rochers. Une série de tamis minuscules servent à séparer chaque sorte de sable.

Un moment hors du temps dans une improbable cahute, sur le toit-terrasse d'un immeuble, en plein cœur d'un quartier mal famé. Raffinement suprême."

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog